lundi 21 juin 2010

La grande loterie de la vie

Juillet 2008. Je me réveille dans la chambre d'amis au sous-sol de ma maison. C'est la première fois que j'y dors. Je suis un peu amochée, j'ai essayé de noyer ma peine la veille avec peu importe ce qu'il y aura comme alcool dans la maison ce jour-là, puisque tout ce que je veux c'est m'étourdir pour ne plus ressentir. On a eu une dispute orageuse hier. Assez orageuse pour que je décide que je ne dormirais pas avec lui. Je monte à l'étage, il dort encore. On s'est disputés hier, et hier je ne l'aimais plus. Ce matin, je sais très bien que je ne pensais pas ce que j'ai dis hier, et tout ce que je voudrais dans le fond, c'est être enceinte de lui parce que je l'aime profondément. Parce que je le désire depuis si longtemps et lui aussi. Je ne sais pas pourquoi, mais je sors un de ces foutus tests que j'ai acheté sur internet en quantité tellement importante qu'ils me coûtent un dollar le test au lieu de huit. J'ai toujours été en retard dans mes règles, mon cycle n'est pas fiable et je ne peux donc pas m'y fier pour douter d'une potentielle fécondation. Je suis tellement habituée que la deuxième ligne n'apparaisse jamais que je me demande pourquoi je m'acharne à faire ces maudits tests mois après mois. Mais ce matin, cette deuxième ligne elle allait apparaître. J'étais enceinte ! Après sept années de vie commune avec mon chum et quatre d'essais «intensifs», ça y était !! J'allais enfin connaître ce que c'est que de sentir bouger la vie en moi et mettre au monde une descendance où mon ADN serait curieusement mélangée à celui de l'homme que j'aime. Pas besoin de vous dire que notre dispute de la veille, on n'en a jamais reparlé. On était fous de joie tous les deux. Quelle ironie...

Mais attention : une grossesse sur cinq ne se rend pas à terme. Je n'ai pas eu une vie trop malchanceuse et ce type de truc n'arrive habituellement qu'aux autres. Mais après quatre ans d'attente, je m'étais déjà mis en tête que peut-être je ne pourrais jamais avoir d'enfant, donc ce bébé-là je ne voulais pas le prendre pour acquis avant d'avoir complété au moins les trois premiers mois probatoires à toute grossesse. J'ai peur. Je ne veux plus porter de charges lourdes, pas plus que courir sur mon tapis-roulant, manger de la nourriture qui n'a pas subit un traitement de chaleur ou prendre un bain. Il faut à tout prix que je me rende à douze semaines. Ce que j'ai difficilement réussi malgré tous mes tourments. Maintenant je pouvais respirer, parce qu'après douze semaines, l'infirmière du CLSC me l'avait dit, ça n'arrive presque jamais qu'on perde des bébés. Elle n'a même jamais été capable de me dire comment ça se passerait au cas où ça m'arriverait...... «Ça n'arrive jamais...», qu'elle m'a dit.

À vingt-quatre semaines d'aménorrhée, mon bébé serait viable. Dix-huit semaines, je n'étais pas si loin ! Je suis au travail ; je perd du liquide, beaucoup de liquide. J'appelle mon médecin, elle me dit «Viens me voir, mais la plupart des filles qui pensent qui perdent leurs eaux à ton stade se trompent, c'est sûrement rien de bien grave». Après 2 secondes d'observation, son diagnostic : Rupture prématurée des membranes. J'avais bel et bien perdu une partie de mon liquide amniotique. Je devais me rendre illico à l'hôpital, j'étais hospitalisée d'urgence. On me fait rencontrer le médecin le plus compétent en la matière - environ 38 ans, il faut le spécifier, c'est assez honorable ! -, il me fait une amniocentèse : j'ai été contaminée par une bactérie. Mon corps a rejeté le liquide empoisonné et donc le bébé n'avait plus de barrière de protection. Trop précoce dans la grossesse, on devait arracher ce foetus en pleine santé de mon ventre, parce qu'il n'y avait aucune chance que je puisse l'accoucher à un stade sécuritaire et qu'il soit normal à présent puisqu'il n'était plus dans un environnement stérile. Le choc. Les larmes. Le dénis. Mais qu'est-ce que j'avais bien pu faire, MOI, pour contracter ça ? Pourquoi MOI.... alors que ça faisait si longtemps que j'attendais ce bébé ? Pourquoi pas la fillette de seize ans qui est tombée enceinte accidentellement, ou la grosse-bonne-femme-déchet-de-la-société qui ne veut que faire gonfler son chèque de bien-être social et qui n'aime même pas sa progéniture ?

J'ai eu un accouchement normal provoqué par Misoprostol, sans péridurale parce qu'en plus, on n'a pas su me guider dans le moment où je devais avoir ce putain de médicament magique, parce que oui je désirais l'avoir absolument. Les contractions ont été aussi violentes que pour l'accouchement d'un bébé à terme. Mon bébé a été tué par la force des contractions.... trop fragile pour leur survivre. Et s'il avait survi aux contractions, il serait mort dans les minutes suivant sa naissance. Et ais-je besoin de vous dire qu'à dix-huit semaines, ce bébé-là était parfaitement formé et intact ? Seuls ses yeux n'avaient pas encore ouverts.... le reste était parfait. Un petit garçon. On connaissait enfin son sexe... mais son coeur ne battait plus à présent. Un drame que je ne souhaite pas à mon pire ennemi. Quarante-huit heures complètement engouffrée dans l'horreur, puis j'ai pu quitter, le ventre et l'âme complètement vides. Enfin. Je suis gentiement retournée à mon quotidien, entourée d'un millier de filles enceintes partout autour. Leurs grossesses se continuaient, elles, moi la mienne elle s'était arrêtée.

Aujourd'hui je me remémore le tout en me disant que certains doivent perdre à la grande loterie de la vie, pour que d'autres gagnent. Et ce que je déplore le plus, c'est la rapidité avec laquelle mon petit garçon est tombé dans l'oubli pour tout mon entourage... Pourquoi ça m'est arrivé ? Je ne le saurai jamais. Je suis retombée enceinte par la suite surprenamment vite, comme si cette grossesse avait stimulée ma fécondité. Et si j'avais eu ce garçon, jamais je n'aurais eu ma jolie petite fille en or, dates à l'appui. Mais je ne peux pas m'empêcher non plus de me dire que cette façon de penser est une lame à deux tranchants.

1 commentaire:

  1. Je suis un peu en retard dans mes lectures...
    Très touchante cette histoire. Méchant mystère que cette loterie de la vie. J'ai moi-meme perdue une petite fille née à 30 semaines de grossesse. Elle est décédée dans mes bras 16 heures plus tard. Terrible aussi le fait que cet être qui nous a été si cher tombe si vite dans l'oubli. Cette année, ca a fait 10 ans que mon bébé est décédé. Tout le monde m'a dit qu'il serait grand temps de me sortir ça de la tête. C'est comme si un nouvel enfant devait remplacer celui qu'on a perdu!

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